vendredi 18 décembre 2009

Compagnon de manif


François, c'était mon compagnon de manif préféré.
On en a fait des manifs tous les deux, en vingt ans...
Très vite, aux arts déco, on s'est retrouvés dans la rue avec les lycéens de l'époque, à chanter en cœur des vieux slogans ringards mais toujours aussi efficaces.
J'aimais sa marche rassurante à mes côtés, son aplomb et son poids. "Qui c'est qui a dit le gros ?" il disait parfois en rigolant, singeant Obélix. Mais François n'était pas gros, il était juste un peu enrobé.
Ces dernières années, on se retrouvait surtout pour les manifs de soutien aux sans papiers. Il avait parrainé une famille dans l'école de ses enfants et portait la banderole d'RESF pour le 20ème arrondissement.
François, ça le mettait en rage, cette politique d'exclusion raciste et contraire au vrai sens du mot "fraternité", et j'aimais sa rage, elle me tenait chaud, elle me portait et même me permettait de supporter la mienne - car il suffit d'accompagner une seule fois un "irrégulier" à la préfecture de Bobigny à 4h du matin dans le froid glacial pour l'avoir cette rage, et pas qu'un peu...
Et puis, n'aimant pas les étiquettes, il me permettait de savoir où j'allais à la manif. A la manif, j'allais avec François !
La dernière fois, j'étais donc seul à la manif, ne sachant où me mettre, avec quel collectif, sous quelle bannière, sous quelle aile, naviguant de l'arrière vers l'avant, libérant un "des papiers pour tous!" au nord ou cherchant un visage connu au sud. Je me sentais bien seul sans François dont je croyais voir la démarche si particulière à chaque coin de rue, mais qui aussitôt m'échappait bien sûr - comme dans un rêve.
Finalement j'emboitai le pas à une bande de jeunes travailleurs turcs et rigolards qui criaient fort eux aussi pour des papiers, pour pouvoir bosser tranquille et être payés normalement. Je ne sais plus ce qu'ils disaient exactement, ils se parlaient entre eux en turc, je me suis laissé porté, turc moi-même pour une heure, étranger dans ma propre ville, et j'ai regardé le ciel au dessus du pont d'Austerlitz en pensant à François, et je lui ai envoyé tout ce que je pouvais d'amour.

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