lundi 21 décembre 2009

Léo et Mae Mercer #1


L'histoire de Léo et Mae Mercer, je vais vous en raconter un épisode, tel qu'il reste dans ma mémoire après que Léo me l'a raconté il y a déjà quelques années. Sans chercher à en vérifier l'exactitude, ni même à déterminer comment moi-même j'ai pu me l'approprier et le mettre à ma sauce - Léo était un tel conteur qu'il pouvait monopoliser une tablée pendant toute la soirée, et nous tenir en haleine avec une histoire qu'on connaissait déjà mais à laquelle il amenait quelques détails oubliés. Comme des enfants, on lui demandait: Léo! et celle où tu as volé les rouleaux de moquette au type pour les poser chez sa propre femme? tu nous la racontes!! Il partait de son grand rire et c'était parti...

Celle-là d'histoire, commence dans une ville de province dans les années 60. Léo a 18 ans, il est pion dans un bahut de Nancy avec son cousin et s'ennuit ferme entre deux conneries dans sa chambre de pion - comme de faire du feu avec le parquet ou de saouler un interne égaré dans les couloirs...
Un week-end, il va au cinéma avec son cousin et matte un film dont j'ai oublié le nom. Là, il tombe amoureux direct de l'actrice du film, une grande femme noire américaine superbe et sculpturale, Mae Mercer. Il sort de ce film, tout émoustillé comme on l'est à cet âge et déclare à son cousin : tu vois, c'est une femme comme ça qu'il me faut ! et ils retournent au Lycée, faire d'autres conneries comme de débouler en mobylette à fond de train, le cousin devant, Léo derrière avec deux vipères tenues à bouts de bras par la queue (Léo chassait les vipères comme on s'allume une clope et expliquait à quel point c'était facile - ça faisait son effet).
Tant et si bien qu'il se fait virer.
Six mois plus tard, le voilà à Paris, en quête d'une vie plus conforme à sa dinguerie permanente, cours de théâtre, je crois et sorties surtout. Il loge chez un oncle de la famille. Ce dernier est un pote de Maurice Girodias (l' éditeur entre autres de Miller et Nabokov, on est dans les années 60, attention on rigole pas avec le sexe à cette époque), c'est dire si le jeune Léo est bien entouré! Girodias fait aussi tourner un club de jazz, à côté de ses bureaux, le Blues Bar.
Un jour, l'oncle de Léo lui propose de l'accompagner au club, une chanteuse extraordinaire s'y produit tous les soirs, parait-il, accompagnée par Menphis Slim. Et voilà Léo, accoudé au bar, en train de siroter un verre, en attendant le début du concert. Soudain, il lâche son verre, il devient tout pâle, il se met à trembler de tous ses membres, s'étrangle en cherchant à reprendre son souffle.
Son oncle lui demande ce qu'il a. Sur la scène, la chanteuse qui vient de faire son apparition, n'est autre que Mae Mercer, là, en chair et en os, la même dont il est tombé fou amoureux à Nancy, dans la salle de ciné. Il explique l'incroyable coïncidence et reste pétrifié pendant tout le concert.

Mais le plus fou reste à venir.

A la fin du concert, Girodias lui propose de rencontrer Mae Mercer dans sa loge. Léo s'y rend, il a 19 ans, Mae en a 30, il ne se dégonfle pas : il lui sort tout à trac son histoire et lui déclare sa flamme. Ils ne sortiront pas du plumard pendant trois jours et se marieront dans la foulée.
Ils resteront trois ans ensemble, un record pour deux chaudières pétaradantes comme eux... et les histoires de fou ne manqueront pas.

Ils avaient perdu contact mais j'avais retrouvé une vidéo de Mae Mercer sur YouTube pour Léo, il a eu le temps de la voir quelques semaines avant de mourir.
Mae Mercer est décédée quelques mois après Léo, visiblement d'un arrêt cardiaque, comme lui. Elle avait appelé un de ses fils Léonard...

vendredi 18 décembre 2009

Compagnon de manif


François, c'était mon compagnon de manif préféré.
On en a fait des manifs tous les deux, en vingt ans...
Très vite, aux arts déco, on s'est retrouvés dans la rue avec les lycéens de l'époque, à chanter en cœur des vieux slogans ringards mais toujours aussi efficaces.
J'aimais sa marche rassurante à mes côtés, son aplomb et son poids. "Qui c'est qui a dit le gros ?" il disait parfois en rigolant, singeant Obélix. Mais François n'était pas gros, il était juste un peu enrobé.
Ces dernières années, on se retrouvait surtout pour les manifs de soutien aux sans papiers. Il avait parrainé une famille dans l'école de ses enfants et portait la banderole d'RESF pour le 20ème arrondissement.
François, ça le mettait en rage, cette politique d'exclusion raciste et contraire au vrai sens du mot "fraternité", et j'aimais sa rage, elle me tenait chaud, elle me portait et même me permettait de supporter la mienne - car il suffit d'accompagner une seule fois un "irrégulier" à la préfecture de Bobigny à 4h du matin dans le froid glacial pour l'avoir cette rage, et pas qu'un peu...
Et puis, n'aimant pas les étiquettes, il me permettait de savoir où j'allais à la manif. A la manif, j'allais avec François !
La dernière fois, j'étais donc seul à la manif, ne sachant où me mettre, avec quel collectif, sous quelle bannière, sous quelle aile, naviguant de l'arrière vers l'avant, libérant un "des papiers pour tous!" au nord ou cherchant un visage connu au sud. Je me sentais bien seul sans François dont je croyais voir la démarche si particulière à chaque coin de rue, mais qui aussitôt m'échappait bien sûr - comme dans un rêve.
Finalement j'emboitai le pas à une bande de jeunes travailleurs turcs et rigolards qui criaient fort eux aussi pour des papiers, pour pouvoir bosser tranquille et être payés normalement. Je ne sais plus ce qu'ils disaient exactement, ils se parlaient entre eux en turc, je me suis laissé porté, turc moi-même pour une heure, étranger dans ma propre ville, et j'ai regardé le ciel au dessus du pont d'Austerlitz en pensant à François, et je lui ai envoyé tout ce que je pouvais d'amour.

jeudi 17 décembre 2009

Il fallait s'attendre au Piers

J'aime pas être méchant, quoique parfois ça fasse du bien...

Hier, je suis allé voir Piers Faccini en concert, à la Cigale.
J'avais récupéré des places par un concours de tristes circonstances, mais passons, sinon on en finit plus avec les morts, parlons des vivants donc, et descendons-les un peu.

Piers Faccini, que je ne connaissais pas, est un grand gars filiforme, lisse comme sa musique.
Si la première chanson laissait entrevoir quelque chose d'intéressant, entre Low et Palace, j'ai même pensé à Smog, son côté sous influence aurait dû nous avertir de la suite... sans personnalité.

Ce brave Piers doit écouter beaucoup trop de musique avec son ipod et galère comme un fou pour trouver la sienne. Ce ne sont pas ses sourires forcés et son t-shirt rentré dans le pantalon pour faire genre "je fais pas genre, moi j' suis nature" qui nous aidèrent à rentrer dans cette parodie d'authenticité.
Un coup, c'était Johnny Clegg, un coup Paul Simon, un autre Jeff Buckley, à peine revisités. On aurait préféré un concert de reprises... en fait on aurait vraiment préféré Jeff Buckley ou son père Tim si ces abrutis n'étaient pas morts, l'un en jouant aux indiens, l'autre aux chamans...

Le pire est que Piers s'essaya sans micro à emporter le morceau, nous conviant dans cet exercice sans filet! à l'accompagner. Hum, ça ne marcha pas vraiment.
Le batteur, peut-être le seul musicien sur scène faisait son boulot et Piersi (ça lui va bien) aussi finalement. Ses blagues étaient nulles et il se (mais pas nous) faisait croire en dodelinant de la tête comme un dindon, qu'il avait le rythme dans la peau - et le son ! bien qu'il maitrisa tout au plus trois accords et que pour bouger son cul, il faut commencer par en avoir un; ne parlons pas des paroles de ses chansons, aussi mièvres que... je dirai pas qui ! J'aime pas dire du mal.
J'étais avec deux potos, qui heureusement partageaient mon point de vue, si bien qu'on se fit la malle au moment des rappels.
Le plus étrange de cette affaire est que la Cigale était remplie et que les gens étaient hystériques, surtout une bande de jeunes mères de famille bien lavées debout dans les travées, bougeant leurs corps visiblement peu sollicités et tapant dans les mains en communion avec le bellâtre asexué (car même sa barbe mal rasée faisait décoration de Noël, comme le reste, new age épurée, enfin cheap je veux dire).

De communion il s'agissait donc certainement, puisque nous sortîmes en jurant comme des mécréants, en crachant notre venin de quarantenaire sur cette variétoche branchée, comme s'il eut été question du dernier sermon à la con d'un curé incroyant lui-même, comme il m'est arrivé de sortir d'une église, au cours d'un mariage ou d'un enterrement, ne supportant pas cette mise en scène du bonheur ou du recueillement. Mais d'autres marchaient dans la combine, alors ? qui suis-je pour juger ? Et comment les comprendre ? Grande question...

Au moins je suis sûr que François aurait détesté !

Bon, ça ne nous coupa pas l'appétit !

mardi 15 décembre 2009

Le froid


Hier je marchais dans Paris, ma ville. Dans le froid.
Je pensais à François et je le revoyais avec son manteau, son écharpe, son pull "camionneur". Marcher dans le froid de Paris, c'est toujours une bonne façon de retrouver ses marques, ses fondamentaux disent les rugbymen. Il me semblait aussi que je ressemblais un peu à un de ces dessins dont j'ai déjà parlés ici.
Hier, je marchais, j'avais les pieds froids mais le cœur chaud.

Ce matin, en emmenant Pablo à l'école et qu'il se plaignit d'avoir froid, je lui expliquai un truc pour faire passer la chaleur d'un endroit du corps chaud au reste du corps.
"tu as chaud quelque part ?" je lui demandai.
"aux mains." il me dit, me montrant ses gros moufles.
"alors tu penses très fort à tes mains chaudes et tu fais passer la chaleur dans tout le reste du corps."
Il me regarda un peu incrédule en essayant de se concentrer sur la manipe.
"tu racontes n'importe quoi, papa, ça ne marche pas."
"si si, tu n'essayes pas assez..."

Le temps de jouer à ce petit jeu, on était enfin arrivé dans le chaud de l'école.

samedi 5 décembre 2009

Léo

Il y a un an et demi mourrait Léo.
Léo était mon voisin, et puis avec les sept années passées à se voir tous les jours, Léo était devenu mon ami. Raconter Léo, c'est impossible. Ancien acteur, ancien alcoolique, directeur artistique du mythique Country Man, aventurier inépuisable, marié à 19 ans avec Mae Mercer, cette formidable chanteuse de jazz, j'en passe et des meilleures, c'était l'homme qui avait eu mille vies, qui connaissait tout le monde, qui avait été dans tous les pays, un fou, un vrai, mais en liberté, quelqu'un dont on ne pouvait absolument pas croire les histoires tant elles étaient folles mais dont on comprenait après quelques années qu'elles étaient absolument vraies, à peine exagérées, car on pouvait faire des recoupements en rencontrant ses amis, qu'il avait par centaines. Et sa mémoire, infaillible.
La veille de sa mort, Léo m'envoya un "je passe te voir demain!" de sa fenêtre. Le lendemain matin en amenant Pablo à l'école, je vis les pompiers s'engouffrer chez lui, quand je revins, une ambulance du samu l'emmenait d'urgence à l'hopital, où, victime d'un infarctus, il ne repris jamais connaissance... Au bout d'une semaine de coma et de soins intensifs, son coeur explosa littéralement, maculant de sang son lit et son reste de souffle.
Tous les jours ou presque, je buvais un petit café avec Léo avant de me mettre au travail, il déboulait dans l'atelier en m'engueulant ou en téléphonant en espagnol à un type à qui il essayait de vendre un Poliakof ou un masque tibétain, et il riait toujours en faisant un grand aaaahhhh, il me faisait à manger le midi en m'insultant parce que je ne croyais pas à la résurrection et que je ne me nourrissais pas convenablement.
Avec Léo, la vie était un spectacle extraordinaire dont il était à la fois la victime et le chef d'orchestre, il y aurait tant à raconter sur cet homme et il avait tant à raconter...
François, qui l'avait croisé bien des fois à l'atelier, compris tout de suite à quel point cette disparition m'affectait. Il eut cette phrase si juste : "donc c'est vrai ce qu'on dit, que quand un homme meurt, c'est toute une bibliothèque qui brûle."
A la mort de François, cette phrase résonna étrangement fort.
Elle résonne encore.

samedi 28 novembre 2009

Franz Ferdinand

Quand je vais au Zénith, je pense toujours à François. On aura compris que je pense souvent à lui en ce moment. Mais c'est à cause du Hot Brass de l'époque, qui n'était pas loin, à cette époque justement, avant le Trabendo !! celle où j'allais encore écouter du jazz, avec François évidemment... mais c'était qui déjà ? Steve Coleman si je me souviens bien, il y a des siècles... il m'avait paru si distant, Coleman, si fortiche, et c'est pour ça entre autre que je n'y arrive plus avec le jazz, c'est souvent si démonstratif, si technique. Mais j'ai depuis longtemps laché l'affaire, alors qu'avant, j'étais là, bouillant chaud au Duc des Lombards ou ailleurs, à la Villa, ou au Baiser salé et que je miaulait comme un chat pour un set de plus... mais déjà, il m'arrivait de gueuler "du rock !" quand Emmanuel Bex s'endormait sur son xilophone et de me faire mal voir.
J'avance musicalement en sens inverse.
Bon bref, hier, c'était pour les Franz Ferdinand, de la pop rock efficace. Zénith rempli à craquer et fans de tous âges, j'étais pas le plus vieux pour une fois. Les Franz Ferdinand, c'est une moulinette bien huilée et très référencée, je me suis levé en tapant dans mes mains pour faire comme les autres. Ils n'ont pas été avare de leur temps, les gugus et le rappel a sonné comme une deuxième partie. Mais on sentait que le public, même s'il en voulait ne pouvait pas faire plus, car le rock, il faut que ça vous emporte... ou c'est juste sympa, là c'était juste sympa, sont trop propres sur eux ces rejetons de Pulp... même quand ils tappent du pied. J'ai remué la tête avec ma voisine et mon voisin en attendant un grincement dans le rouage, que neni. Ce n'est qu'à la fin, quand ils se sont mis à faire de la techno que j'ai commencé à prendre le mien, de pied. Mais c'était le dernier morceau, merde alors, métro, montreuil, bobo, dodo... Content quand-même. je crois pas que François aurait vraiment aimé...

mardi 24 novembre 2009

La pochette de disque "Roudot"



Comme chacun sait, François et la musique... hum c 'était quelque chose.
Il touchait à tous les styles, prenait des dizaines de cd dans des dizaines de cdthèques de par la capitale et enregistrait à tout va. Et puis il faisait ses propres cd, compilations, avec illustrations de pochettes et tout le tintouin. Il reste pour tous ses proches, je pense à ses enfants évidemment et à France, des heures de musique à découvrir, jusqu'à la Saint-glinglin.
On a aussi fait quelques concerts mémorables, dont celui de Screaming Jay Hawkins que François adorait et que je raconterai peut-être un jour ici... parce que ça valait le déplacement, du moins dans ma mémoire.
Anyway, c'était un passeur comme je l'ai déjà dit, un gars qui savait transmettre son enthousiasme...
De temps en temps, il faisait des copies pour les potes et il les sortait de son sac le fameux, en cadeau... Et ce qui était bien, c'est qu'il choisissait des trucs appropriés au destinataire. Par exemple, moi, les musiques "du Monde", les jazz fusion, etc, c'est pas du tout ma tasse de thé, ça pourrait le devenir mais je suis resté assez ado attardé. Mon truc, c'est le rock.
Alors je reproduis ici le Iggy Pop qu'il m'avait offert et qui me semble être de l'excellent Roudot !
Où que tu sois, vieux, je pense à toi !

mardi 17 novembre 2009

20 ans


Ce dessin, François me l'avait offert le jour de mes vingt ans.
Passés la colère, la tristesse, le déni, toute la panoplie du deuil comme c'est écrit dans les livres, vient le plus costaud car ça va durer, c'est le manque... je me remettrai sans doute à raconter des histoires quand le temps aura passé car pour le moment, je n'y arrive plus.

lundi 9 novembre 2009

La baffe

Tenir un blog, hum... c'est beaucoup de temps - je sais que François y passait un temps fou, et moi-même je faisais un tour de loin sur l'ivre d'images en y mettant très rarement un commentaire, car je craignais assez cette virtualité pleine de promesses mais aussi rempli d'auto censure. Je ne me sers d'habitude de cet outil que comme carte de visite, comme book en ligne à l'usage très restreint. Et c'est aussi beaucoup de fantômes, beaucoup de trésors qu'on pressent mais qu'on ne peux atteindre, beaucoup de rencontres d'un autre genre - et le vertige du lien à l'infini. Mais surtout, et c'est ce qui m'a toujours retenu et me retiendra encore, c'est l'absence du corps. Et ça, je ne m'y fais pas.
Aussi je voudrais raconter encore une petite histoire sur François et le corps - afin d'illustrer mon propos.
Il y a longtemps, François était très influencé par toutes sortes d'initiations et de grandes pensées, guilde de Chevalier, Nietzsche, Tai Chi, Tao, et il aimait la relation de disciples et de maître, quitte à aller assez loin dans le concept. J'avais organisé une petite fête dans mon appart de Belleville avec plein de monde, dont François évidemment.
Il s'était mis à expliquer à Marylin, une collègue des Art Dec, quelle pouvait être cette relation et comment le maître devait enseigner (à coups d'énigmes si nécessaire) à son disciple certaines voies vers la liberté et l'accomplissement personnel.
Marylin n'y comprenait goutte et voulait un exemple.
C'est alors que soudain, contre toute attente, alors que la conversation était très paisible, François lui balança une baffe.
Marylin fût très choquée et se mit à pleurer, François se trouva soudain interdit et s'excusa. Mais c'était trop tard. La soirée pris un tour assez étrange et je me souviens avoir raccompagné François chez lui, sans qu'il puisse vraiment expliquer son geste...

Cette histoire, c'est l'histoire du corps.

mercredi 4 novembre 2009

La danse de Saint Guy

Une de mes premières sorties avec François, ce fut pour une fête organisée par les anciens des Arts décos, une fête de début d'année... pour que les "nouveaux" se détendent, se sentent chez eux. Histoire de briser la glace et de se sentir appartenir à l'école.
Nous on rêvait déjà d'une de ces fameuses fiestas légendaires dont l'école avait la réputation mais qui avaient été interdites quelques années auparavant au cause d'incidents graves de bizutage. Les temps avaient changés et le bureau des élèves avait eu l'autorisation à nouveau d'organiser une fête "normale" dans une grande salle louée à cet effet.
François et moi, amis de courte date, on s'était retrouvé un peu avant, tout excités, avec notre belle carte beige d'élève des Arts Déco en poche, billet d'entrée obligatoire des portes d'une nuit qu'on ne voyait que de folie - ce qu'on peut être naïf à 20 ans.
On découvrit une immense salle quasi vide avec au bout un immense bar et sur les côtés laissés dans l'ombre des tables basses, des chaises et des "anciens", les fameux - pas pressés de nous mettre à l'aise.
La piste de danse, centrale et gigantesque, illuminée de spots clignotants était désespérément vide. Les nouveaux arrivants faisait même le tour par les côtés pour aller chercher une bière. François et moi, on devisait en se demandant pourquoi diable personne ne dansait, et plus le temps passait plus la tension montait, plus la piste de danse paraissait impressionnante et impraticable. Je rigolais en disant à François que je serais curieux de savoir qui allait oser briser cette fameuse glace.
Soudain il posa son verre et me dit : quand faut y'aller, faut y'aller. Je le vis s'avancer vers le milieu de la piste à pas lents et se mettre exactement au milieu, mon coeur se mit à battre comme si c'était moi qui était à sa place. Alors, devant tous les élèves arrêtés et médusés, il se mit à effectuer une danse d'indien qui je l'apprendrai plus tard était une de ses spécialités, consistant à sauter comme un peau rouge en levant les bras et en tapant des pieds de toutes ses forces en tournant sur lui-même à pleine vitesse. Ce spectacle ahurissant dura bien quelques minutes pendant lesquelles on se regarda incrédules et amusés. Mais bientôt, tout le monde compris le signal et se retrouva sur la piste.
Je rejoignis François qui continuait sa danse de St Guy, imperturbable et déjà en sueur. Il me vit et me dit : tu vois suffit de les pousser un peu...

Je ne me rappelle pas comment se termina cette fête. Par la suite, à chaque fois que François effectuait cette danse, je revoyais la scène. Je me repassais souvent ce souvenir avec bonheur, comme un grand moment de cinéma. Aujourd'hui aussi, je me repasse cette scène et je ravale mes larmes.

samedi 31 octobre 2009

Foot poétique


Il y a plus d'une dizaine d'années, le dimanche matin, avec une brochette de potes, on organisait des parties de foot, histoire de se décrasser de la veille, de piquer une bonne suée et de finir la semaine en sportifs. Chacun portait sur son visage les stigmates du samedi soir, on se retrouvait sur les pelouses de La Villette ou ailleurs vers 11h30 midi. Parfois, des petits jeunes venaient se greffer ou d'autres gars mal rasés cherchant à éliminer leurs toxines. je dois dire que c'était moi le responsable du ballon et que par bien des côtés, je prenais mon rôle d'organisateur assez au sérieux.
Un jour, je proposai à François de venir nous rejoindre. "Hola, tu sais moi le foot..."
Tai-Chi mis à part, qu'il pratiquait en maître, j'avais toujours entendu François critiquer le sport en général et tout ce qu'il véhicule, rivalités, compétition, abrutissement général, argent, spectacle de masse... François, c'était pas le type à appeler pour une soirée PSG-Marseille. D'ailleurs, le Tai-Chi, c'est un art, c'est pas un sport.
Bon bref, je lui expliquai que ce foot était spécial, qu'on était tous des bras cassés avec deux heures de sommeil et 3 grammes dans le sang, qu'on finissait toujours la partie en se rafraichissant de quelques bières et que de toutes façons c'était moi le chef et que personne n'irait l'emmerder s'il ratait son tir. François, je lui dis, ce foot du dimanche matin, on appelle ça "foot poétique", on compte même pas les buts.
"Alors ça me va" il déclara.
Le dimanche suivant vit débarquer François, son vélo et son sac à dos qu'il transportait partout, dedans un ou deux livres et son carnet de croquis...
Et on joua.
François, balle au pied, c'était un spectacle saisissant. Pour lui, des mots tels que "passe !", "sur l'aile", "va au pressing!" ne relevaient d'aucune réalité palpable et si par miracle, il réussissait à taper dans le ballon, c'était toujours pour le rendre à l'adversaire, on piquait des fous rire à n'en plus finir, il se faisait engueuler lorsque seul à 2 mètres du but, il envoyait le ballon en touche...
Il retirait ses lunettes pour faire une tête et courait comme un beau diable en réclamant le ballon pour s'en défaire aussitôt, ne sachant quoi faire avec.
Tu vois, me dit-il, c'est pas pour moi.
Mais pas du tout, tu es un vrai poète du foot! Tu es la pièce manquante de notre dispositif! je lui dis et je le pensais.
Je ne sais pas combien de foots j'ai fait par la suite avec François, mais il y en a eu des dizaines et des dizaines car il aimait ça le bougre.

vendredi 30 octobre 2009

The Dead Weather

Hier, comme des jeunes pouces, ma femme et moi on est allés à l'Olympia.
Ouais, on peut pas être et avoir été soit disant... mais nous on se mantient ! Malgré !
Bref, c'était pour voir...entendre ? écouter ? Subir ? THE DEAD WEATHER en concert.
Un groupe de Rock composé de Jack White, des White Stripes et d'Alison Mosshart de The Kills et deux autres gus dont les noms m'échappent...
Public principalement agé, comme nous, la quarantaine, avec trop de rides et de mèches blanches pour donner le change mais assez de lumière dans les yeux pour ne pas en avoir honte, quelques jeunes rigolards assis sur les marches, et à portée de bras, assis comme nous au balcon pour vieux, les cheveux teints, Manoeuvre avec ses lunettes noires et son cuir immuable...Tout s'annonçait pour le mieux - surtout après deux petites bières en plastique.
A 21h15 pétante, en deux minutes chrono, le concert commença et nous mis sur le carreaux, direct. Un mur du son à 108db (on était placé juste derrière la console) nous atteignit en pleine face, bousillant nos tympans, nos 20 ans et notre taux d'adrénaline déjà bien endommagé, je parle pour moi...
On essaya de se boucher les oreilles en fouillant désespérément nos poches à la recherche de boules quiés, tout en voulant finir notre verre, en vain. Le mal était fait, on dégustait grave. Les plus faibles du lobe quittaient la salle, en boule.
J'essayai de reconnaître les chansons de l'album, mais non, un déluge sonore cisaillait mon cerveau de haut en bas et de droite à gauche. Je reconnu à peine le joli corps trop maigre d'Alison se déhancher sur les baffles et la mèche de White se balancer au dessus de sa nouvelle victime, une batterie, on avait mal pour elles, et pour nous.
Pourtant, dans cette opération sur-sonorisée, très trop bien huilée et ultra douloureuse pour nos oreilles, quelque chose jaillissait comme une évidence, si bien qu'après 5, 6 morceaux, je me retrouvai à crier « du rock !! », « plus fort ! » et « rage against the machine!! » comme au bon vieux temps, quand je gueulais pareil, mais dans la fosse en sautant comme un hystérique. J'étais jeune...
Je me disais qu' Alison chantait soudain vraiment bien quand en fait c'était White qui avait pris le relais et que le guitariste se surpassait quand c'était encore White qui venait de troquer sa grosse caisse contre une guitare. Le public aussi devait s'en apercevoir car on réussissait à l'entendre hurler plus fort que l'électricité dès qu'il changeait de place.
Je me retournai vers Carmen et la vis me crier quelque chose. Quoi ? Je fis ? En approchant mon oreille juste au contact de ses lèvres. « Y a que lui qui en a sous la pédale !! » me cria t-elle. « Il est trempé dans la musique !! » Bon sang, je suis pas sourd !! t'as raison ! Je lui répondis.
Dans le Rock, il y a l'idée du sacrifice, de la sueur, du sang, de la communion, du respect du public, mais les pros d'aujourd'hui économisent bien trop leurs forces pour qu'on y croit comme avant. Pourtant, quand un musicien est aussi doué que White, c'est comme de voir jouer Maradonna, peu importe l'équipe et le temps qu'il fait, peu importe le résultat du match, on cherche seulement à ramener avec soi un peu de ces gestes fluides, on se plait à rejouer la scène, on se croit génial par procuration et les tympans défoncés, on rentre, heureux et rincés.
Et dans ma tête, il y a François qui danse.

mercredi 28 octobre 2009

L'amitié


Parfois, on me demande quelle école j'ai faite. Les Arts déco je dis avec un peu d'ironie et je m'empresse d'ajouter : et encore pas jusqu'au bout, j'ai été viré. Je cite aussi Matisse qui disait que les écoles c'est bien pour apprendre ce qu'il ne faut pas faire. Et je finis en disant je ne regrette pas d'y avoir perdu mon temps parce que j'y ai rencontré des gens et surtout un ami que j'ai gardé depuis, François.
L'amitié, c'est quelque chose de spécial. Il y a des amitiés qui se font avec le temps, qui se forgent lentement, au fil des saisons, soudain on se rend compte qu'on est devenu ami et puis il y a des amitiés qui se réclament, ce sont souvent celles de l'adolescence, de la jeunesse. Il y a soudain quelqu'un qu'on croise et dont on se dit je veux être son ami et si c'est réciproque, alors c'est extraordinaire, ce qui peut se passer. Alors on tombe en amitié comme on tombe amoureux. Pour ce faire, il y a souvent un acte fondateur qui éclaire cette personne avec une lumière particulière, qui vous la rend admirable et quand on a 20 ans, le fait de reconnaître cet acte et que l'autre vous voit le reconnaître, relève de la plus haute importance. Ensuite, il faudra encore plusieurs actes fondateurs pour sceller l'amitié et la transformer en fraternité, en amour, et si les mauvais esprits ne viennent pas tout saccager, pour la vie.
Avec François, l'acte fondateur, je m'en souviens bien. C'est simplement au cours d'un des premiers rendus (on appelait rendu la réalisation d'un sujet plastique donné par un des profs) en première année des Arts Déco, sinon le premier. Je crois que le sujet était "autoportrait dans l'école" ou un truc tout aussi scolaire et barbant. On avait tous pondu un dessin plus ou moins léché, afin de faire valoir notre immense talent, ou une photo floue montée avec des pictogrammes glanés dans les couloirs du premier étage, celui de l'administration, histoire de montrer qu'on savait composer une image et qu'on étaient des graphistes nés.
Le prof - dont le nom m'échappe tout à fait- passait tout ça en revue avec un hochement de tête entendu quand il s'arrêta sur le travail de François. Il lui demanda si c'était "ça"? son rendu.
On se regroupa autour de lui pour découvrir un dessin à l'encre à la Dubuffet ultra nerveux, celui d'un enfant fou, fait au baton en référence à l'art brut et plein de taches d'encre, débordant d'énergie et de force. Un truc explosif fait au culot.
François était tout fier de lui, un peu timide, mais il dit : ben oui, quoi ? Bon y a pas l'école dans mon dessin mais c'est moi dans l'école, ça ressemble, non ?
Je regardai ce dessin en ressentant une grande sensation de liberté. Je regardai François que je n'avais pas vraiment remarqué avant dans la classe et je pense qu'il croisa aussi mon regard admirateur et mon sourire.
Ce fut le premier acte, il y en aurait beaucoup d'autres.

lundi 26 octobre 2009

L'ivre d'images







Il y a de ça des années, en 1993 exactement, François et moi on dessinait parfois ensemble, à quatre mains, dans son petit appart de St Ouen, entre une bouteille de vin très bon marché et une pizza, de celles que François concoctait à merveille, avec trois fois rien, de la pâte à pain glanée chez le boulanger d'à côté, du concentré de tomate, et ce qu'il avait sous la main dans le frigo, champignons, bout de jambon, bouts de poivrons surtout, qu'il adorait... On s 'installait sur la grande table, face à face, et on commençait chacun un dessin, l'autre retournait la feuille, continuait l'idée première ou partait sur complètement autre chose, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'un d'entre nous (ou les deux) dise : stop c'est bon là ! On se motivait avec des "hum...?", des "mouais...!", des "qu'est-ce que t'en penses ?", des "tu prendras bien un petit verre !". On punaisait notre production sur ses murs presque blancs et on était fier de nous, on dévorait la pizza juste pas cramée et on s'y remettait... on rigolait beaucoup.
On avait fait un petit livre d'une série d'hommes-animaux-bizarres, photocopié et cousu en petit fascicule, tache que François réalisait avec beaucoup de sérieux, relier ses livres et carnets avec de la ficelle, pour François, c'était une passion.
En retrouvant un exemplaire de ce livre, j'ai senti mon cœur se serrer, je ne me souvenais pas qu'on lui avait donné ce titre : L'ivre d'images. Mais je me souviens très bien de la soirée mémorable dans un petit bar du Luxembourg où nous avions passé en revue une centaine de titres, tous plus loufoques les uns que les autres; je crois qu'après quelques bières, "l'ivre" s'imposa... la suite coulait de source.
J'ai même retrouvé les originaux, en voilà quelques-uns...

jeudi 22 octobre 2009

Samson et Dalila



d'après Rembrandt
Avec la mort de François, c'est comme si on m'avait crevé un œil.