mercredi 8 juin 2016

Kim


par ton geste d'une violence inouïe
tu nous as écorchés vifs
regarde-nous maintenant dans notre pitoyable habit d'impuissance
ne pas pouvoir respirer par le trop d'air que tu laisses
emmurés dans un immense espace de peine
et de culpabilité jusqu'à l'absurde
accrochés à nos existences trop décentes
nous n'avons pas su
nous n'avons pas pu
tu n'as pas eu l'insouciance des enfants
qui laissent croire aux adultes qu'ils peuvent les protéger d'une vie de souffrances
et les sauver d'une mort certaine
en cet instant de délire
d'une extrême folie d'une d'extrême rage ou d'une trop extrême lucidité
tu en as terminé avec la rage avec la lucidité avec la souffrance avec la vie
tu en as terminé avec la société
tu en as terminé avec nous
mais nous
nous n'en aurons jamais terminé avec toi
nous sommes condamnés à vie à la douleur infinie de ton absence
à devoir vivre sans toi et avec toi creusé au couteau et déposé en nous dans nos entrailles
rendus à nos vies misérables et sidérés par ta mort
contraints à la parole alors que nous ne pouvons plus parler
nous voilà enveloppés d'une nuit sombre
et tout éclat de lumière claque comme une insulte
saurons-nous seulement nous tenir un peu plus dignement debout
afin de te faire honneur et te survivre ?



lundi 6 juin 2016

Kim

Van Gogh
Le suicidé de la société

Artaud

Post-Scriptum

Van Gogh n'est pas mort d'un état de délire propre,
mais d'avoir été corporellement le champ d'un problème autour duquel, depuis les origines, se débat l'esprit inique de cette humanité
celui de la prédominance de la chair sur l'esprit, ou du corps sur la chair, ou de l'esprit sur l'un et l'autre.
Et où est dans ce délire la place du moi humain?
Van Gogh chercha le sien pendant toute sa vie, avec une énergie et une détermination étranges.
Et il ne s'est pas suicidé dans un coup de folie, dans la transe de n'y pas parvenir, 
mais au contraire il venait d'y parvenir
et de découvrir ce qu'il était et qui il était, lorsque la conscience générale de la société, pour le punir de s'être arraché à elle,
le suicida.
Et cela se passa avec Van Gogh comme cela se passe toujours d'habitude, à l'occasion d'une partouze, d'une messe, d'une absoute, ou de tel autre rite de consécration, de possession, de succubation ou d'incubation.
Elle s'introduisit donc dans son corps,

cette société
absoute
consacrée
sanctifiée
et possédée

effaça en lui la conscience surnaturelle qu'il venait de prendre, et telle une inondation de corbeaux noirs dans les fibres de son arbre interne,
le submergea d'un dernier ressaut,
et, prenant sa place,
le tua.

Car c'est la logique anatomique de l'homme moderne, de n'avoir jamais pu vivre ni penser vivre qu'en possédé.

Repose en paix, little big Kim...

mercredi 5 octobre 2011

Le yin et le yang

Ou la présence de l'absence.
Il y a cette puissance dans la disparition qui ne cesse de m'intimider.
Une affiche dans un couloir et c'est François tout entier, lui mort et lui qui était vivant qui me transperce, me fait trembler. La Cité interdite au Louvre. Comment aller voir cette exposition sans souffrir irrémédiablement de son absence mais comment ne pas y aller? Il n'aurait raté cette expo pour rien au monde et ne vous aurez pas raté si vous l'aviez manquée. Lui être si reconnaissant d'avoir ouvert tous ces chemins et en même temps serrer les poings. Cette position en double détente est troublante, très. Elle est est à la fois inconfortable et lumineuse, elle surgit au coin de la rue, elle frappe en plein visage, fait mal et bien à la fois - bon sang ce que je donnerais pour pouvoir lui dire un mot, boire juste une bière, juste une, et lui raconter cette expo qu'il ne verra pas. François se contorsionne sous mon affiche déchirée dans des trous de briques rouges, il fait une grimace, on ne sait pas si elle est de douleur ou de clown ou les deux et il repart jusqu' à la prochaine incursion. C'est bien ainsi, tu es vide et plein à la fois, tu ne m'oublies pas!

lundi 23 mai 2011


Six pieds sous terre la tête dans les étoiles, François.

samedi 23 octobre 2010

Les retraites

Ils trainent les femmes par les cheveux, ils mettent des enfants et des nourrissons derrières des barreaux sous prétexte que leurs parents n'ont pas de papiers, ils coursent les gens jusqu'à électrocution ou noyade, ils tirent au flash-ball sur des ados bras tendu, ils expulsent des familles entières à tour de bras, ils n'ont de leçons à recevoir de personne, pas même de l'église, dont ils lèchent pourtant le cul, pas même de la communauté internationale qu'ils méprisent, ils ne ressentent pas de honte, ils détestent les biens-pensants! Ils font leur boulot! et ils le font bien. C'est grâce à vos impôts qu'ils se payent des visières et des bottes, qu'ils nourrissent leurs enfants, car ils ont des enfants, et ces enfants sont fiers de leur papas? qui marchent sur la gueule des clandestins, de la racaille, des grévistes, des arabes, des noirs, des communistes, des pauvres... ces braves papas au service de la France.
Mais ne vous y trompez pas, si vous les croisez quand ils font leur boulot, ils ne feront pas de différences, si vous n'êtes pas habillés comme eux, si vous ne suivez pas leurs ordres, si vous voulez discuter, alors que c'est pour leur retraite que vous manifestez, ou même si vous passez par là en revenant du travail, comme tout le monde, que vous n'en avez rien à foutre des retraites, que vous avez voté pour eux..., ils vous tabasseront comme ils tabassent les sans papiers, ils vous insulteront comme ils insultent les étrangers et la communauté internationale, ils vous traineront par les cheveux comme ils trainent les femmes sans papiers par les cheveux et vous ne vous étonnerez pas j'espère qu'ils tabassent aussi vos enfants, afin que les leurs soient fiers d'eux, car ils n'ont de leçons à recevoir de personne, ce sont eux qui donnent les leçons.

jeudi 16 septembre 2010

Le square de la gare de Charonne



Il est une heure, je suis assis sur un banc du square de la gare de Charonne. Là où nous étions assis il y a des années, un week-end, un après-midi, avec François. A bavarder devant le grand toboggan en colimaçon, pendant que Gilles jouait aux indiens avec des copains du square. Aussitôt arrivés, les enfants se regardent et comprennent s'il peuvent s'associer pour jouer. Là, il n'y a personne dans l'aire de jeu. Un couple mange un sandwich.
"Les enfants ont un langage bien à eux" m'avait dit François. Pablo n'était pas encore né, ni Lucie je crois. J'avais adoré ce bout de ciel en face de chez eux, rue du Volga. Aujourd'hui, une suite de connexions me fait travailler sur le trottoir d'en face. Une suite de connexions dont François est l'origine d'ailleurs. Les matins en arrivant je jette un oeil aux fenêtres. Je sais que les enfants sont déjà à l'école, je sais que France travaille là-haut. On se croise dans la rue, je passe dire coucou. On se dit: on se voit très bientôt. Plutôt un week-end...
Je rêve que François va apparaître en riant. Mais non, c'est un grand vide, aussi gros que lui. "Qui c'est qui a dit le gros?" je l'entends si fort. Mais il faut continuer à charrier toute cette poussière noire...