samedi 5 décembre 2009

Léo

Il y a un an et demi mourrait Léo.
Léo était mon voisin, et puis avec les sept années passées à se voir tous les jours, Léo était devenu mon ami. Raconter Léo, c'est impossible. Ancien acteur, ancien alcoolique, directeur artistique du mythique Country Man, aventurier inépuisable, marié à 19 ans avec Mae Mercer, cette formidable chanteuse de jazz, j'en passe et des meilleures, c'était l'homme qui avait eu mille vies, qui connaissait tout le monde, qui avait été dans tous les pays, un fou, un vrai, mais en liberté, quelqu'un dont on ne pouvait absolument pas croire les histoires tant elles étaient folles mais dont on comprenait après quelques années qu'elles étaient absolument vraies, à peine exagérées, car on pouvait faire des recoupements en rencontrant ses amis, qu'il avait par centaines. Et sa mémoire, infaillible.
La veille de sa mort, Léo m'envoya un "je passe te voir demain!" de sa fenêtre. Le lendemain matin en amenant Pablo à l'école, je vis les pompiers s'engouffrer chez lui, quand je revins, une ambulance du samu l'emmenait d'urgence à l'hopital, où, victime d'un infarctus, il ne repris jamais connaissance... Au bout d'une semaine de coma et de soins intensifs, son coeur explosa littéralement, maculant de sang son lit et son reste de souffle.
Tous les jours ou presque, je buvais un petit café avec Léo avant de me mettre au travail, il déboulait dans l'atelier en m'engueulant ou en téléphonant en espagnol à un type à qui il essayait de vendre un Poliakof ou un masque tibétain, et il riait toujours en faisant un grand aaaahhhh, il me faisait à manger le midi en m'insultant parce que je ne croyais pas à la résurrection et que je ne me nourrissais pas convenablement.
Avec Léo, la vie était un spectacle extraordinaire dont il était à la fois la victime et le chef d'orchestre, il y aurait tant à raconter sur cet homme et il avait tant à raconter...
François, qui l'avait croisé bien des fois à l'atelier, compris tout de suite à quel point cette disparition m'affectait. Il eut cette phrase si juste : "donc c'est vrai ce qu'on dit, que quand un homme meurt, c'est toute une bibliothèque qui brûle."
A la mort de François, cette phrase résonna étrangement fort.
Elle résonne encore.

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