lundi 4 janvier 2010

L'atelier de Brancusi








Pendant ces vacances, j'ai emmené Pablo voir l'expo Rodin-Matisse.
La foule se pressait et nous fîmes la queue sous un auvent nous protégeant du froid. Pablo jouait à se cacher derrière les grands sapins du parc, il avait l'air content. Une fois à l'intérieur, je ressentis tout de suite un drôle de sentiment de nostalgie mêlé de familiarité - non pas que je me sente familier de Rodin ou Matisse (quoique), mais d'être dans un musée, ça m'est familier... La nostalgie, je sus aussi immédiatement d'où elle venait. Il y avait énormément de monde mais indifférent à ce grouillement, Pablo s'assit par terre et commença à dessiner ce qu'il voyait dans un petit carnet, au feutre. C'est la deuxième fois que je dessine avec Pablo "d'après modèle" et j'eus l'impression qu'il faisait ça depuis la naissance. Assis en tailleur, les yeux braqués vers son modèle, il regardait à peine sa feuille et dessinait avec une attention touchante - les gens l'évitaient soigneusement, amusés de voir ce petit bonhomme de 5 ans prendre le temps de voir et de dessiner à sa mode. Son dernier dessin, son "préféré" fut une tête de Matisse, une de ces têtes de boxeur, drôle et boursouflée. Je fus bien incapable de faire comme lui, et je gardais serré mon carnet dans mes mains, trop occupé à ne pas le perdre dans la foule, et surtout obsédé par la pensée de François, ne sachant comment surmonter l'émotion qui à chaque œuvre me traversait, ayant avec lui fait tellement de dessins, dans des musées ou ailleurs, et me souvenant surtout de ces virées qu'il faisait avec ses enfants et des dessins qu'ils en ramenaient. Tout ça se mélangeait avec l'impact que provoquaient les dessins et les sculptures que je découvrais petit à petit dans l'expo.
Je tombai enfin en arrêt sur une sculpture de Rodin extraordinaire : une femme sur un bout de cuisse, tête, pied et un bras coupés, penchée à l'horizontale, de manière à représenter un oiseau; me traversa alors ce souvenir magique d'il y a des années:
Avec François, nous avions fait un exposé sur Brancusi. Nous avions réussi à avoir l'accès de son atelier un matin entier, rien que pour nous... Nous avions passé quelques heures à flâner, à dessiner, à prendre des photos, dans le silence absolu de cet atelier, étrangement habité d'une présence extra-corporelle, nous nous regardions sans un mot, conscients de vivre un moment particulier et merveilleux.

Pablo me demanda lequel était mon "préféré". Je lui montrai la sculpture. Il me fit remarquer qu'il lui manquait un pied et un bras, et surtout la tête. C'était exactement mon cas à ce moment précis, et étrangement, comme la sculpture, j'eus l'espace de quelques secondes le sentiment de voler...

En fouillant dans les diapos, je mis évidemment la main sur ce que je cherchais, "Le poisson" de Brancusi, auquel "Figure volante" de Rodin m'avait renvoyé si fortement. Et par le plus grand des hasards, dans la boite de diapos consacrée à Brancusi, il y avait une autre photo, datant d'encore avant François. Cette photo est celle d'une petite sculpture en train de se faire. Une copie que j'avais entreprise de la femme accroupie de Rodin, c'est étrange la vie quand-même...